Le fidèle berger by VIALATTE Alexandre

Le fidèle berger by VIALATTE Alexandre

Auteur:VIALATTE, Alexandre [VIALATTE, Alexandre]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 1983-07-14T16:00:00+00:00


Le départ approchait, la planche était tirée, le bateau avait sifflé trois coups.

Sa femme, ses filles, sa mère, son père, il valait mieux n’y pas penser.

Ce qui le navrait le plus, c’était de songer que personne, s’ils étaient en vie, ne pourrait leur expliquer son geste et plaider sa cause.

Il revit la salle à manger où s’était passée son enfance, où il avait compté sous la lampe les moutons perdus par le berger, l’âge du père qui sera trois fois plus vieux que le fils quand le fils aura atteint l’âge de son frère aîné, et le volume d’eau des deux baignoires qui ne mettent pas le même temps à se remplir (il y en a toujours une qui triche) »

Il se rappela la lampe à pétrole, celle de tous les jours et celle du grand salon qui était ornée d’une crinoline à fanfreluches comme l’impératrice Eugénie. Il se rappelait l’âge de la lampe à pétrole ; comment pouvait-il être si vieux ?

Et ses frères aux doigts tachés d’encre qui se battaient à côté de lui sur le tapis rouge de la table, contre les mêmes fils, contre les mêmes pères et contre les mêmes moutons, et se noyaient dans les mêmes baignoires, où étaient-ils ? Pas de nouvelles non plus. Dans quel camp de prisonniers ? Sur quelle route ? Dans quelle tombe ?

Il se rappela son père regardant le baromètre, dans le couloir, au-dessus du porte-parapluies, et son cheval devant la porte dans le brouillard ; et sa mère qui coupait du papier transparent pour mettre sur les pots de confitures ; elle le trempait ensuite dans le rhum, dans une soucoupe chinoise dont on rêvait la nuit et qui était presque aussi magique que les boîtes de chicorée du Pélican (il y en avait de bleu ciel et de rouges ; mais le pélican était toujours d’un rouge foncé, et de l’autre côté il y avait un château, avec des tours carrées, la mer et des pins parasols dans une circonférence dorée).

Il revit sa femme qui s’en allait, emportant un costume civil, sur une route, le jour où ils étaient partis, dans un vacarme de voitures (mais où, mais quand ?) ; il se rappela un pré mouillé, des chevaux blancs et du brouillard, des fouets qui claquaient, des jurons, des ordres qui chassaient les femmes ; et comme elle était loin, comme elle devenait petite, et comme elle disparaissait !

Et maintenant, là-haut (non, ce n’était pas possible !) là-haut ces rires, ces cris qui recommençaient !

Et ses jumelles endormies, celle qui sentait la balle d’avoine et celle qui sentait la laine ! et Figaro couché entre elles ! Et là-haut, die nouveau, il les entendait rire. Et pourtant il les savait mortes. Si elles ne l’étaient pas, qui deviendrait leur père ? Il se sentait triste à pleurer.

Il balaya tout ça d’un coup. Il ne resta plus que la vieille salle à manger, un soir d’hiver, dans une petite garnison lointaine où la neige tombait sans fin pendant des mois.



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